Sunday, June 25, 2006

Intermède entre XXXVI et XXXVII

J’aimerai avoir une existence drôle et dramatique.

Drôle, je m’en sors pas mal. Je travaille le dramatique.

Avant de passer à la lecture de cet intermède, un peu de musique pour vous mettre dans l’ambiance de son écriture.

Il y a quelques temps, j’avais écris un poème sur le Pincio, que j’avais imaginé vidé de ses promeneurs – bien avant, déjà, je m’étais inspiré de la chanson Belle abandonnée de Brigitte Fontaine pour écrire Le Jardin d’enfance.

Ce poème, le voici.

Dans les allées tiédies par le soleil naissant,

Et dans les eaux verdies par les algues du lac,

On devinait encore un magnifique parc

Devenu triste et mort, sans souvenir récent.

Cependant il passait, en des temps plus anciens

Pour un charmant endroit, couru et visité

Par des dames pressées, des enfants exaltés,

Qui en devenaient rois dans leurs jeux anodins.

Les haies étaient taillées, les bancs entretenus ;

Les gens s’y asseyaient, n’ayant pas peur du noir

Dont parfois s’imprégnait le jardin vers le soir.

Les pudiques geignaient de voir des statues nues

Etendre dans les airs leurs membres blancs et froids,

Donner des directions inconnues et secrètes,

S’étreindre dans la pierre en des courbes parfaites,

Rendues sans prétention maîtresses de l’endroit.

Les bosquets arrondis, les fleurs multicolores,

Rendaient les vieux aigris soudain plus agréables ;

Les femmes sans vertu devenaient respectables,

Leurs chairs caressées nues d’un reflet pourpre et or.

Toutefois les hivers succédant aux automnes

Ont dépeuplé l’endroit des ses êtres vivants ;

L’herbe rase et sévère allongée par le vent

S’assombrit dans le froid des arbres qui frissonnent.

Le parc s’est éteint, comme s’éteint le feu,

Se consumant sans fin – tant qu’il reste du bois ;

Et s’évanouissant dans l’approche du froid

Dans un crépitement lancé comme un adieu.

Dimanche j’ai retrouvé, à la Villa Glori, la synthèse de la chanson, de mes poèmes, de mes idées. La Villa Glori, c’est un grand, grand parc, surélevé au dessus de la piazza Euclide et d’une curieuse église, construite dans un style à cheval sur le Baroque et le néoclassique.

A Villa Glori, personne ne vient.

Seuls quelques joggers, deux vieilles dames, un monsieur qui promène ses chiens. Ce fut, le dimanche 25 juin 2006 à 16h., sans doute à la fois le plus calme, le plus vert et le plus grand endroit de Rome. J’ai imaginé sans peine la Villa Borghese et son Pincio, quelques kilomètres plus loin, surpeuplés d’enfants hurlant pour une glace, de touristes se pressant à la location de barques pour canoter un quart d’heure sur le petit lac. A Villa Glori, personne n’est dupe. On ne vend pas de glace, sauf bien sûr en dehors du parc. On ne canote pas, d’ailleurs il n’y a pas de lac – tout ce qu’on peut faire, c’est suivre les petits sentiers boisés, au fil desquels on trouve d’énormes sculptures contemporaines, dont la ville s’est débarrassée ici. Ca ne dérange personne, des portes entrouvertes en béton armé de cinq mètres de haut, ou des confettis rouges de deux mètres de diamètre, inopinément dressés près d’un jardin d’enfants – sans enfants.

Les fleurs se sont semées, emportées par la pluie

Qui a creusé la terre en de petits ruisseaux ;

Et ce banc a rouillé, victime aussi de l’eau.

Mais pour être sincère et finir ce récit,

Hors des chemins tiédis par le soleil couchant,

La vie s’en est enfuie comme à la fin d’un drame,

De ce jardin prisé ou perdurent les âmes

De ceux qui l’ont aimé en ces instants touchants.

Villa Glori et dans sa gloire, les gens qu’on voudrait retrouver par hasard, les objets qu’on voudrait perdre par raison.

W***

Sunday, June 11, 2006

Commentaire de la CR XXXIV

Introduction

Il faudrait sans doute commencer ce commentaire en rappelant la définition que, déjà, donnait l’auteur dans son Petit dictionnaire à Utilité Réduite à l’entrée alexandrin :

Alexandrin.

1. nm. Habitant d’Alexandrie.

2. nm. (oui, aussi). Vers de douze syllabes. Comme le disent ces vers attribués à Victor Hugo : « L’alexandrin je crains, zobi perlinpinpin / Je m’en lave les mains, poil au nez poil aux mains. » Comme on peut le remarquer, tellement habitué à faire des alexandrins, Victor Hugo en faisait pour toutes les occasions, mêmes les plus idiotes.

Le problème rythmique donne bien du fil à retordre aux poètes ; en effet se sentant obligés de faire des alexandrins parfaits, il arrive parfois que leur sens tienne de l’hermétisme le plus total, ce qui peut plonger le lecteur dans un profond désarroi.

Exemple :

« Le soleil nous chauffait mais retourne à l’aurore

Met son manteau de nuit et nous nos pyjamas

Un rêve nous absorbe en murmure de pierre

On ne connaît jamais la beauté quand on dort ;

Le son bientôt s’enfuit, plus d’ouïe, bon débarras

Le regard s’abandonne au mur de nos paupières. »

(© Walter W. Malldwight.)

La composition d’un alexandrin, au même titre que la recette du riz au lait, se divise en plusieurs étapes. D’une façon courante, un alexandrin se divise en deux, on appelle la rupture de milieu de vers l’hémistiche (ce qui rime avec biche, barbiche, miche et barmiche, en effet). Un alexandrin se divise parfois en trois, ou même quatre parties, comme nous le rappelle ce vers assez mauvais et pourtant célèbre, dont nous ne vous ferons pas l’affront de rappeler l’auteur :

« Waterloo ! Waterloo ! Waterloo ! Morne plaine ! »

Il n’est pas rare que le sens profond de la poésie échappe à certains auteurs qui s’y sont essayés. Dès lors ils deviennent, à défaut de mauvais poètes, de mauvais écrivains*. Néanmoins l’alexandrin, du fait de sa longueur poétique assez importante, peut faire l’objet d’une utilisation contemporaine dans divers registres :

« Amélie je te hais, Nothomb je te déteste,

Si jamais tu pouvais mourir d’un anapeste ! »

De l’approche de la poésie par Walter Malldwight, nous pouvons retenir deux aspects, assez contradictoires : à la fois un respect pour la forme (exactitude des alexandrins, recherche de la rime) mais, dans le même temps, un fond parfois léger, voire parfois, un sens absent.

Nous retrouvons dans cette chronique le ton à la fois grave et léger qu’il imprimait à ses premiers exercices ; rappelons-nous ces deux vers datés de 2001 :

« Elle a tout pris dans la maison

Mon cœur, ma vie, mes boîtes de thon »

En l’occurrence, Malldwight mêle dans ces cent quarante deux alexandrins (parfois faussés à cause de rimes masculines qu’il couple avec des féminines) des pensées sérieuses entrecoupées d’annotations qui, il faut bien le dire, représentent peu d’intérêt – et ne sont là que pour pointer à la ligne, faire du texte – voire, sont carrément connes.

Commentaire détaillé

Pour commencer, le titre nous révèle deux détails sur l’auteur. D’une part, sont goût pour les rimes faciles (qui ne se rappelle pas de son célèbre « Bovary est jaloux, ce qui rime avec bouh »), comme celles que l’on fait en associant un prénom avec un adjectif (« Tranquille, Emile », « Cool, Raoul », etc.). D’autre part, son ego surdimensionné qui le laisse imaginer que, le temps de l’écriture, l’esprit de Victor Hugo le possède (de mémoire, nous pouvons affirmer dans le présent commentaire qu’aucun Victor ne l’a jamais « possédé »).

La première strophe (vers 1 à 10) nous permet de supposer qu’il a écrit au jour le jour (« J’ai lu lundi matin », v. 1) ou, si ce n’est pas le cas, qu’il a pris des notes avant de passer à l’écriture propre. Ils nous y livre, après une considération idiote introductive sur la température estivale prévue à Rome, un doute sur sa capacité à retranscrire ce qui lui est proposé par l’inspiration (d’aucuns y verront un rappel à des vers de Baudelaire se plaignant de perdre cette même inspiration). Le terme de « marathon » pour lequel on « s’échauffe » (v. 8) laisse imaginer que l’écriture est un exercice au moins aussi délicat que la course de fond.

Du point de vue du vocabulaire, la répétition des « vraiment » (v. 2) ne trouve sans doute à jouer que pour une question de métrique ; tandis qu’au vers 10, le rappel phonétique « au bout »/« au bord » rythme l’alexandrin en deux temps, comme c’est déjà le cas dans chaque hémistiche du vers précédent avec l’opposition « Tout »/« rien ».

La strophe suivante est riche en allitérations en fricatives (sourdes : « vers », « inviolés », « volé », « vaut ») et sifflantes (sourdes avec les liaisons, une seule sonore, dans « restés »). Le vers 13 prend la tournure d’une maxime indépendante du reste. L’auteur nous livre ensuite un détail du réel (son colocataire s’endormant) avant de conclure sur son propre coucher (périphrase métaphorique « mes draps m’ont accueilli », vers 17), dont il espère qu’il sera salvateur et, qu’au terme de la nuit et de ses rêves (métaphore des « angoissants voyages », v. 19), il parviendra à écrire ce qu’il pense (opposition sémantique du « soleil » avec le participe « noircissant », qui rappelle phonétiquement le « noierai » initial, vers 20 et qui s’oppose également avec le « blêmi » vers 17) et mettra un terme à cette « sobre affliction » (affligé le Walter ; oui,mais pas suicidaire).

Les vers 21 à 26 (troisième strophe) n’ont d’autre but que d’indiquer l’écoulement du temps : nous sommes le lendemain (si). Les rimes sont ternes, pour ne pas dire « faciles », ainsi que le souligne lui-même l’auteur (v. 31), qui s’interroge sur le bien-fondé de cette poésie (vv. 29 et 30). Relevons un rejet (v. 25) et l’introduction du style direct (vv. 23 et 24). S’agit-il vraiment d’une « humeur imbécile » (v. 32) que celle qui semble se faire l’écho de l’incapacité exprimée dans les vers du « lundi » ? Dans les vers 35 à 39, l’auteur semble se placer au-dessus de ses lecteurs (peut-être « eux », ces « envieux », ces « chagrins esprits ») pour prendre une place à la fois dominatrice et victime (un « fusible » entre « eux » (dominant) et « le ciel » (dominé)). Le « ciel » est probablement à prendre au sens matériel et non pas religieux, puisque l’auteur évoque auparavant (même métaphoriquement) un « sol » dont il « décolle » (v. 35).

La réintroduction du style direct au vers 40 laisse supposer que l’auteur « atterrit » au moment où il le dit, puisqu’il est « déposé » (v. 41) sur le bord de son lit. La parenthèse qui suit n’est pas claire : parle-t-il de sa journée, passée comme dans un rêve, ou des rêves qu’il va faire, puisqu’il est sur le point de dormir ? Le café est-il seul responsable ?...

En commençant une nouvelle strophe, l’auteur commence encore une fois une nouvelle journée. Il réintroduit la réalité en évoquant son déroulement, marquée par l’introduction d’un vocabulaire familier (« lésiner », « marmots », « récré », « compères », se « siffler deux bières » ; « gueux » est ici ironique). Dans une nouvelle parenthèse, à mi-chemin entre la synecdoque et la prosopopée, l’auteur prête à son pied un sentiment de remerciement pour le baume qui le soulage. La prononciation de la langue italienne autant que la scansion exige dans le vers 55 que l’on marque la diérèse sur le mia de l’expression « mia mamma ».

Cette strophe ne présente poétiquement aucun intérêt.

La strophe qui suit nous présente la suite des aventures du pied qui, gonflé, ne permet pas à son propriétaire de le chausser comme souhaité (notons l’incongruité de la rime « ligament / élégamment », vers 59-61). L’auteur introduit par la suite deux personnages, Sandra, connue également sous le surnom de la Courge, et Alina, manifestement camarade de la première, qui apparaît pour la première fois dans les Chroniques. Il est probable que les adjectifs « agacée » et le familier « naze » n’aient été inclus que pour faciliter les rimes. Les « demoiselles » vont un peu trivialement « s’échouer dans une balancelle » (v. 65) ; le verbe rappelle évidemment le champ sémantique de la plage et de la mer autant qu’il sous-entend, probablement, l’état d’ébriété des deux jeunes filles (elle s’échouent bien sur la balancelle, elle n’y posent pas gracieusement le popotin). L’auteur loue « l’air frais » (v. 66) probablement parce qu’il berce (et fait taire) ses deux accompagnatrices, dont on sait qu’elles peuvent être particulièrement pénibles.

Nous retrouvons dans la strophe suivante l’opposition entre poésie et trivialité ; d’un côté la description romantique de la soirée (paradoxe, au passage, de la lune blanche et de l’eau noire, vers 67), avec, au vers 71 une transition (grâce au champ lexical de la bougie vers 69 (Alina est « éméchée » et a le teint « cireux »)) vers des considérations plus pragmatiques sur l’état d’ébriété d’Alina, qui a « le regard vitreux » (v. 72), expression qui trouve écho avec le terme « nette », deux vers plus loin.

Nous apprenons par la suite que l’auteur et ses compagnes sont rejoints par des « autochtones » (notons la rime avec « atone » qui, définitivement, court-circuite Alina de la réalité et surtout, de la sobriété) qui les font boire, sans d’ailleurs trop les forcer. Afin de respecter la métrique, il faut bien entendu lire les prénoms avec l’accent Italien (ce qui rappelle le « mia mamma » observé plus haut) : Simoné, Davidé, Lélé (qui est probablement le diminutif bêtifiant d’Emanuele).

La strophe se termine dans le champ lexical de la nuit, temporellement et matériellement (« trop tard », « rêver », « lit », « matin » comme adverbe dans l’expression « se lever matin », c’est-à-dire se lever de bonne heure).

Pas la peine de se demander comment vendredi est passé : avec une bonne gueule de bois (tournure métaphorique du « sans trop savoir comment », vers 87). Indépendamment de l’odieuse « saucisse » (v. 89) qui ne sert qu’à faire une rime atroce avec « Médicis » (v. 80), notons la métonymie « restaurant », qui indique donc qu’il y a mangé avant de se rendre « à Villa Médicis ». L’auteur nous sert ici un italianisme (puisqu’en Italien on dira plus couramment andare a Villa Medici (aller à) que andare alla Villa Medici (aller à la)) qui facilite le décompte de son alexandrin. La programmation, également, facilite la rime puisque Ravel va parfaitement avec Jarrell, et « Prisme » avec « romantisme ». D’ailleurs, l’auteur ne parle-t-il pas d’un « rien de romantisme » pour bien signifier que Ravel, malgré l’impression que l’on en a, ne s’inscrit pas dans ce courant musical ? On considère en effet qu’il est un compositeur moderne, avec toutefois des rappels classiques dans ses mélodies et orchestrations. Le Gaspard de la nuit est une œuvre pour piano de ce même Ravel, mais on peut également supposer un double-sens, avec un Gaspard qui viendrait la nuit, mais pas pour jouer du piano.

Malgré son attachement pour Philip Glass, comme il le souligne dans ses premiers vers, l’auteur semble avoir peu de considération pour son contemporain Jarrell dont il dit que son « œuvre expérimentale » (entre guillemets, vers 100, autant pour l’ironie sous-jacente que pour le propos rapporté des « agités du bocal », vers 99) lui a « haché le tympan » (v. 97) ; et s’il le dit, c’est sûrement vrai. A « tympan » il fait rimer un terme un peu familier du même champ lexical, « boucan ». Rappelons le goût de l’auteur pour les allitérations, avec de nouvelles fricatives (rime « fieffés »/ « qualifier » ; puis, plus loin, « filé » (v. 101) et « affidés » (v. 102)) et gutturales (« que quelques », « bocal », « qualifier »), toutes sonores.

L’évocation de la journée qui suit est placée sous le signe de la légèreté, l’achat d’un sac de plage (écho de la soirée sur la plage, quelques strophes plus haut). Le « Sahara » (v. 101) rappelle la « chaleur » évoquée plus bas (v. 103) autant qu’elle permet une rime avec Zara (v. 102). Le terme « affidés », qui appartient à un niveau de langue soutenu, contraste avec la familière « bronzette », vers 108, et laisserait supposer que les vendeurs de Zara seraient des êtres perfides qui poussent à la consommation, comme la banque mentionnée dans la troisième strophe. Le vers 104 souffre d’une succession d’allitérations en chuintantes et gutturales (« acheter », « sac », « cher », « cœur ») qui alourdit la lecture.

Légèreté, voire superficialité puisqu’en « passant chez Annabelle », l’auteur casse son image déjà fragile d’étudiant sérieux en prétendant ne rien entendre aux « décrets tordus » (v. 114) (rime et écho avec « ardus ») dans lesquels la « belle » est plongée.

Dans les vers qui suivent, Malldwight nous rappelle son affection pour les brocolis vapeur, auxquels il adjoint un peu de gastronomie locale avec la pizza (v. 116) et la mozzarella (v. 117) qui aurait une « curieuse odeur ». Il fait probablement référence à la mozzarella de buffle qui est un pur régal, et qu’il vous recommande, plutôt que la traditionnelle mozzarella de vache, quasiment inodore – et sans saveur.

Curieux dessert que ces « dix comprimés de levure de bière » (v. 120) qui, comme chacun sait, rendent les cheveux de l’auteur plus brillants, ses ongles plus forts, sa peau plus douce et ses poils plus soyeux.

La conclusion commence au vers 121 où, sur le ton de l’anecdote, Ouin-Ouin réapparaît, plus fatigué, plus épuisé que jamais, autant par le droit fiscal auquel il ne comprend toujours rien (puisqu’il n’a toujours pas appris l’Italien) que par les beuveries perpétuelles avec d’autres Espagnols (notons la charmante rime avec « Popaul » au vers 128) à cause desquelles (et des « alcools somnifères » mentionnés au vers 132) son foie est « nécrosé » (v. 126). Nouvelle allitération en gutturales, cette fois sourde, rehaussée par une assonance (« Engourdi »/« goûts », vers 132).

Nous apprenons au détour d’un vers que la semaine se termine (« un samedi soir », vers 129) et qu’à partir du vers 133, l’auteur écrit au temps présent (« voilà, il est minuit ») ; ce présent qu’il confronte au « instants singuliers » (v. 137) qui ont perdu de leur étrangeté et sont devenus, dans l’évocation du souvenir, un « passé régulier » (v. 138). Est-ce ce présent qui, dans l’expectative du futur approchant (« Lundi je reprendrai », vers 135) est devenu « réel » (v. 140), et qui est comme assené par des mots « qu’on ne veut pas pluriel » (vers 139 ; opposition lexicale avec le « singuliers » deux vers plus haut) ?... Et quels sont ces mots ?... Apprécions enfin, dans toute cette strophe et notamment au vers 136, la douceur du jeu des allitérations en sifflantes sonores et sourdes (plus particulièrement grâce aux liaisons).

Enfin, Walter Malldwight reprend la forme précédemment employée de la parenthèse qui lui permet, dans ses deux alexandrins finaux, et sur le mode de l’interpellation au lecteur, de conclure… En prétendant qu’il ne sait pas conclure.

W***

Sunday, June 04, 2006

Anecdote du 30 mai

Aujourd’hui, dans le bus, s’est passé un événement de trois fois rien qui m’a renvoyé des années en arrière. (Je reste toujours autant traumatisé par cette impression que je me suis volé des années en les transformant en vent, en dispersant mon temps dans des occupations terrifiantes de vacuité – qu’elles fussent vaines et chargées d’espoir, autant qu’inutiles mais pourtant incontournables, au moment de leur déroulement.)

Un événement qui, sans doute, me serait passé inaperçu si mon lecteur MP3 n’avait pas buggé sur le Kyrie de la messe en si de Schubert, et ainsi forcé a voyagé, horreur absolue, les oreilles seulement pleines des bruits de la route et conversations environnantes. Deux arrêts plus loin sont montés dans le bus deux adolescents, peut-être à peine majeurs ; très fins, très jolis, mais hélas le genre qui me donnent envie de les taper simplement parce que la nonchalance, le détachement qu’ils émettent me renvoient à mes propres excès d’inanité – de les taper aussi parce qu’ils s’habillent « rebelles », avec des vêtements trop grands et souvent sales, qu’ils ont des trous dans les oreilles, dans le nez, les lèvres, bref partout, des cheveux de toutes les longueurs, voire des dreads qui sentent le haddock fumé ou le vieux chèvre.

Envie de les taper, quand ils parlent mal de leurs parents en se donnant un genre, ou quand ils ouvrent des pochettes pleines de croquis, de grafs, que sûrement ils reproduisent en grand la nuit venue sur les murs de la capitale, se prêtant donc à cet exercice qui consiste à ne pas dormir, à rater son bac et à se rebeller contre la société et ses parents, qui, rappelons-le, ne comprennent rien.

Immanquablement, en regardant les dessins sortis de la pochette, l’auteur a présenté ses œuvres tandis que son comparse les commentait. L’auteur était le prototype mentionné plus haut, avec cependant une paire de lunettes qui contrastait un peu avec l’allure générale. Le comparse était du même acabit, avec cependant moins de dreads, pas de lunettes, un air un peu « délicat » et surtout, un stretching du lobe proprement terrifiant.

Les dessins présentés ne valaient bien sûr pas un clou, mais l’auteur en était fier, les dessins ne valaient bien sûr pas un clou et le comparse le savait, on lisait sur son visage un mélange de concentration (« Mais qu’est-ce que je vais pouvoir lui dire ? ») et d’empathie (« J’aurais fait autrement mais c’est pas si mal »). Puis, il en a dit du bien, sans non plus exagérer, en relevant quelques défauts mais avec tout de même un sorte d’encouragement dans le ton. En feuilletant d’autres dessins, il est tombé sur deux photos, et il m’a semblé que les traits de son visage se sont durcis, très modérément, peut-être l’ai-je seulement imaginé.

« C’est ton ex ?

-Oui, c’est Carla. »

Elle avait l’air jolie ; l’auteur (et ex) semblait absent et perdu dans le nouveau gribouillis qu’il mettait à jour, tandis que le comparse, l’air mi-peiné, mi-contrit, continuait de regarder la photo, avant de les remettre soigneusement entre deux « dessins » de la pochette.

Et soudain, ce fut évident, parfaitement évident. Je me suis revu des années auparavant avec un garçon dont je complimentais les manifestations, simplement pour m’attirer sa sympathie, et seulement sa sympathie parce que je savais que rien n’était possible, que déjà pour lui, il y avait une Carla, un « principe de Carla » dans l’air, et que cet air n’était pas le mien.

Se doute-t-il, le dessinateur, que son pote rêve de lui ? Probablement pas. Imagine-t-il ce que subirait cette pauvre Carla si elle avait la mauvaise idée de monter à l’arrêt suivant ?...

J’ai repensé à cette terreur adolescente, à cette incompréhensible jalousie qui me brûlaient les nerfs quand une Carla ou n’importe qui d’autre s’approchait de mon « concept de dessinateur raté » ; je trépignait en cours parce que nous n’étions pas dans la même classe et une fois devant lui, j’étais con comme une adolescente devant sa star préférée.

Il restait une demi-feuille de papier et il a voulu dessiner à son tour, avec un talent probablement au moins égal à celui de son camarade… Mais pas de stylo. Ainsi était-il condamné à regarder œuvrer ledit camarade, en émettant de temps en temps des petites exclamations ravies et encourageantes.

Alors je lui en ai prêté un, un beau stylo Université d’Auvergne qui, à moi aussi, me sert à gribouiller sur des carnets en m’imaginant que je suis un artiste incompris.

Il n’a pas perdu son temps à prendre un air incrédule. Mes multiples trous, oreille et arcade, lui ont suffit à comprendre que nous avions quelques (mais alors, pas beaucoup) affinités en commun, et qu’il pouvait accepter mon stylo sans rien craindre. « Grazie », m’a-t-il lancé jovialement, avec un charmant sourire qui m’a laissé supposer une torture passée chez l’orthodontiste – mais lui pensait déjà sûrement au retard qu’il devait rattraper, à faire tout plein de petits dessins immondes et bien entendu, un peu plus immondes que ceux de son pote pour que ce dernier conserve son statut à la fois iconique, absent et frustrant et surtout, tellement inaccessible.

J’aurais voulu lui laisser mon stylo et répondre « Ma figurati ! » quand il m’aurait répété un autre gentil « grazie » tout en dents blanche et parfaitement alignées. Mais ils sont descendus avant moi, alors il me l’a rendu, et j’ai quand même eu droit à un grazie, et un autre sourire, un peu étrange, peut-être seulement poli, peut-être conscient qu’un je-ne-sais-quoi lui avait, l’espace d’un instant, permis d’exister dans la discipline de son amoureux mais indépendamment de ce dernier.

Peut-être tout cela, ou peut-être un peu, ou pas du tout ; mais cela m’a plu de l’imaginer.

W***