Saturday, December 03, 2005

Interruption photographique…

…d’une conversation entre J* et moi (d’où mon air passablement agacé et le sien toujours aussi niais). Cliché rare, au demeurant !... W***

Thursday, December 01, 2005

Réponse à Jacques Pilet

...suite à sa chronique intitulée « Solitude française » dans l’Hebdo n°47 du 24 novembre 2005

Monsieur Pilet,

C’est avec un certain amusement qu’un ami suisse m’a fait parvenir votre chronique, qui m’a d’abord fait sourire, puis réagir (notez, pour expliquer ce qui va suivre, que je suis Français et que je poursuis actuellement des études de droit Italie). Vous me permettrez, afin de faciliter mon commentaire, de reprendre de façon purement éparse quelques éléments de votre texte.

C’est une remarque un peu hâtive de dire que « la France fait peine à voir », et une autre bien facile que de constater la perte de son influence en Europe lorsqu’on se contente de la contempler du haut d’un immeuble bancaire, sagement drapé dans une très suissesse neutralité. (Vous constaterez qu’à l’instar de mes compatriotes, et comme probablement le reste de cette Europe que vous fustigez, la position dite de « neutralité » relève pour ses observateurs de la solution de facilité. Je n’ose imaginer ce qu’il en a coûté à votre esprit si médian d’enfin vous décider à entrer à l’ONU.)

Passons cette perfidie si courante à votre endroit – probablement pas infondée, au demeurant, pour être autant répétée – qui toutefois me soulage beaucoup.

Vous évoquez le problème de privatisations qui a agité, et agite encore, les plus hautes autorités étatiques françaises ; et les grèves qui en résultent.

Il est typiquement français en effet de manifester pour tout, éventuellement n’importe quoi, si possible en faisant du bruit, en gênant les activités d’un secteur voire, de ralentir une économie déjà quelque peu poussive. Le droit de grève cependant, ainsi que la liberté d’association, de former des syndicats…, est considéré, en droit constitutionnel français, comme une « liberté publique », accordée par ce qui allait devenir un véritable Etat après les difficultés politiques du Second Empire. Accordée, certes, mais avant tout garantie par les Constitutions françaises depuis cent cinquante ans, avec d’autres libertés fondamentales concomitantes : liberté d’expression, de réunion, de circulation. Je concède volontiers que le droit de grève est abusé, mais j’aimerai vous rappeler qu’il agit comme une soupape avant de tourner à des « émeutes », ou des « débordements » (ainsi que le minimisent les autorités françaises, jamais à cours d’euphémismes (ou, le cas échéant, de superlatifs) lorsqu’il s’agit d’évoquer leur situation). Je parle bien ici de revendications politiques, et n’inclus donc pas les récents troubles survenus dans quelques grandes villes françaises, qui n’ont de politique que leur récupération médiatique.

Il n’y a pas lieu de revenir sur le droit de grève, sinon pour en dénoncer l’abus. La liberté d’expression n’implique pas que l’on s’exprime juste, mais son existence fonde la représentation démocratique ; et sa pluralité, la richesse de son Histoire.

Laissons le lyrisme de côté.

S’agissant des privatisations, il peut paraître compréhensible que, par exemple, des travailleurs ne veulent pas que leur société soit rachetée par des fonds de pensions américains (cas récent de la SNCM). Les Français voient dans la privatisation le moyen de faire beaucoup de bénéfices, très rapidement, aux dépens de la qualité d’un service qui finira par s’interrompre, ou même tout simplement, cesser d’exister. C’est une vision réductrice, mais assez fondée. Vous imaginez bien que votre idée sous-jacente de privatiser la SNCF consisterait à défaire ce qui a été fait ; depuis 1937 en effet, les sociétés d’exploitation ferroviaires privées se sont réunies en ce qui était alors une société d’économie mixte, avant de devenir, en 1983, un établissement public à caractère industriel et commercial. Le contrôle de l’Etat – grâce au Conseil supérieur du service public ferroviaire – permet avant tout, en dehors de son exploitation commerciale, de maintenir ce qu’on appelle en droit administratif français « la continuité du service public ». C’est au nom de cette continuité, justement, que la grève n’est pas autorisée pour les militaires et les infirmières (comme quoi, il y a une logique). A titre de contre-exemple, permettez-moi de rappeler que les transports ferroviaires britanniques ont été privatisés, ce qui a engendré une diminution des services en même tant que leur dépréciation, tandis que leurs tarifs ont spectaculairement augmenté (croyez bien que je parle en connaissance de cause et que je ne jette pas, moi, des considérations personnelles très moyennement objectives).

Si leur Etat est tellement loué – et tout autant critiqué – par les Français, c’est parce qu’il dispose d’une puissance qui lui permet d’assurer des fonctions globales, logiques et ordonnées qui, bien que monopolisatrices, n’en restent pas moins d’une efficacité bien supérieures à celles éventuellement proposées par un conglomérat de sociétés privées. L’« Etat-Providence », voilà comment on l’appelle lorsqu’il redresse, en faisant de son mieux (c'est-à-dire de son point de vue objectif et étatique, et généralement pas de la façon dont l’entendaient ses nationaux ou des observateurs étrangers, éventuellement neutres), les échecs des entreprises privées. Je ne vous ferai pas l’affront d’évoquer notre Sécurité sociale, elle aussi en état de crise, mais qui prémunit toujours ses ressortissants d’une grande majorité de risques sociaux. A cet égard nous pourrions longuement parler de la situation du système de santé de la Suisse, qui est, du propre aveu de vos concitoyens, bien moins efficace que son système bancaire. Encore un autre poncif très plaisant au sujet de votre confédération, pour répondre à ceux que vous énumérez sur la France.

Et s’il vous plaît, ne me parlez pas de la Croix-Rouge ou vous me forcerez à me rouler par terre en hurlant de rire.

C’est bien « effarée » que la France a assisté « au cirque socialiste ». Comme vous le notez si justement, les électeurs français sont très sensibles aux belles paroles, aux slogans martelés, au vocabulaire précautionneusement choisi. C’est la raison pour laquelle ils ont voté non au projet de constitution européenne, sans avoir pris la peine d’ouvrir un des multiples livres expliquant cette dernière, publiés bien antérieurement à l’évocation d’un référendum par le président de la République, préférant plutôt écouter les discours pesants de quelques représentants politiques (qui manifestement, n’avaient pas plus réfléchi avant de débiter des âneries plus longue que ladite constitution). C’est pour cette même raison que, pendant vingt-cinq ans, ils vont voir passer, en directives, des petits bouts d’ex-projet constitutionnel (grâce aux bons soins de la Commission européenne). C’est tout autant « effarés » que les tenants du oui en sont venus aux mêmes conclusions. L’Europe cependant n’aura surtout retenu de ces débats que les gallicismes qui lui plaisent tellement lorsqu’il s’agit de sourire de la France ; et croyez bien que les juristes communautaristes le regrettent.

Vous parlez parfois juste, mais vous analysez souvent mal.

Il y a bien une crise française, comme il y a cependant une crise allemande ou une crise italienne, tout simplement parce qu’il y a une crise électorale, et que cette crise n’a de sens que parce qu’elle se meut en des réactions démocratiques (voire, anti-démocratiques et populistes, mais c’est un autre débat). Les électeurs européens se perdent dans cette politique qui n’a plus de sens, plus d’horizon, et qui sert avant tout des intérêts personnels – mais c’est tout ce qu’ils ont pour exister dans leur nation. Ces pays ne peuvent pas se permettre de faire des référendums tous les quatre matins, sur des sujets aussi fascinants que la culture des OGM ou l’ouverture des magasins le dimanche – vous me permettrez d’assener un dernier stéréotype en affirmant que ce sont bien là des préoccupations suisses – les deux dernières questions qui ont fait l’objet d’une votation, non ?... (Un de mes professeurs de droit international se plaisait à dire que « le référendum suisse, c’est la promenade du dimanche » – ce qui, sans être juste, n’en reste pas moins drôle.)

Dans cette mesure, il est évident que la nouvelle chancelière allemande « récite comme un devoir » les nécessités de l’alliance franco-allemande ; mais n’a-t-elle pas déjà beaucoup à faire avec son pays, son économie à la traîne, les résultats médiocres de sa politique éducative ?...

Et cette Italie, dont vous vous moquez en disant, à propos des grèves, que même elle « est devenue plus raisonnable » ?... Sont-ce là des propos relevant d’une analyse, ou d’un constat fondé sur la sempiternelle idée reçue qu’on a des institutions italiennes ?...

C’est la politique qui permet à un pays de prendre une place dans la communauté internationale (dans de nombreuses proportions qu’il serait indécent d’énumérer ici, et qui, de toute façon, vous échappent totalement) ; et c’est la neutralité d’un autre qui lui permet de signer de nombreux accords financiers qui, à leur tour, neutralisent leur identité, renvoyant son existence à celle d’une grosse banque (aux agissements probablement très intéressants, à y regarder de plus près).

Voilà pourquoi la Suisse accueille tant de sièges d’organisations internationales. Il est tellement rassurant de prendre ses quartiers dans un pays neutre, où l’on s’inquiète de ses skis, de sa fondue et de l’ouverture des magasins le dimanche.

Si la prospérité doit passer par l’abandon de l’éducation civique, si la puissance économique prévaut sur la pensée politique et si la neutralité garantit l’absence d’interrogations fondamentales, dans ce qu’elles ont de légal et de démocratique, alors merci bien, nous resterons seuls, seuls et incompris ; seuls, incompris et Français.

Salutations franco-italiennes et néanmoins cordiales.

W***