Sunday, December 23, 2007

Doit-on enseigner l’histoire de l’art ?

Ce fut mon sujet de partiel en histoire de l’art moderne. Enjoy.

 

 

 

Il n’y a manifestement que deux réponses possibles : oui ou non. Nous aborderons pour notre part la question de biais, en nous demandant comment ou comment ne pas l’enseigner, c'est-à-dire, pourquoi on ne doit pas enseigner l’histoire de l’art d’une façon et pourquoi on devrait l’enseigner d’une autre.

De cette méthode nous aborderons trois points : nous verrons dans un premier temps que l’histoire de l’art est un particularisme de la « discipline histoire », et qu’à ce point abâtardie, elle n’apprend pas l’art ou son analyse, mais elle fausse ou contrefait son approche initiale ; nous aborderons ensuite l’idée que la discipline est une dialectique, dont les termes sont encore mal posés – malgré des incursions d’audacieux dans d’autres directions. Nous proposerons enfin, sous la forme d’une hypothèse, l’histoire de l’art comme une ontologie, et arguerons pour un retour à l’œuvre elle-même avant de discourir sur ce qui a déjà été écrit sur l’œuvre.

 

 

I. L’histoire de l’Art est une histoire. Son champ d’application est subordonné à une condition d’existence : l’œuvre d’art doit avoir été. Elle existe toujours, mais sa création est une manifestation du passé ; l’action « faire l’art » (peindre, sculpter, écrire, composer) équivaut pour une étoile, en termes physiques, à « rayonner » : l’action est terminée depuis longtemps, mais ses effets sont encore perceptibles (certaines étoiles sont mortes depuis des centaines d’années mais la distance qui les sépare de notre perception est tellement grande que leur rayonnement, dont l’émission a cessé, nous parvient encore en tant que récepteurs).

L’histoire de l’Art est donc une dissection du champ historique avec des outils d’analyse du présent : la méthode consiste à déterminer ce qui, dans la création, est constitutif d’une répercussion du factuel, d’une emprise du réel dans l’oeuvre. C’est l’analyse du contexte qui permet, jusqu’à un certain point, d’interpréter des éléments artistiques dont la compréhension dépasse la seule perception. En tant qu’histoire, l’histoire de l’Art cherche à répondre à la question « Pourquoi ? » (et l’on pourrait commencer de répondre en se remémorant Panofsky, qui eut dit ici : parce que le Stilmoment ne dispense jamais du Wermoment).

Dans la caractérisation historique, la discipline détermine, sur la base d’une autobiographie (ou si elle n’existe pas, d’après un collationnement de sources biographiques), les éléments qui ont influencé l’auteur au moment de créer une œuvre d’art, en tout ou en partie (l’emploi du conditionnel serait de rigueur, mais il est assez peu employé en l’espèce).

 

Au-delà donc de la seule histoire, la discipline crée une « histoire dans l’Histoire », voire, plusieurs histoires dans l’Histoire, chacune étant propre à un auteur (artiste) ; qu’importe en définitive que plusieurs aient vécu au même moment ou qu’ils fussent intimement liés : l’historien de l’art détermine une monographie pour chacun ; Vuillard, Denis, Bonnard : proches amis, styles proches, famille de cœur pour ainsi dire – ça ne change rien. Il y aura trois catalogues, et de surcroît "raisonnés", et c’est peut-être là le problème de l’histoire de l’art : elle raisonne, mais elle raisonne soit à rebours, soit sur son propre raisonnement. Elle a oublié l’œuvre.

 

 

II. Dans un second point, nous formulerons une hypothèse : l’histoire de l’art est une dialectique. A cet égard, non sans oublier que Kant déclarait « la philosophie, ça s’apprend comme le reste », Otto Pächt a affirmé pour sa part qu’on ne peut pas voir sans savoir. Pour employer une dialectique, il faut renouveler la méthode de travail, et si l’on veut se poser des questions, les poser autrement.

Panofsky a démontré que les « problèmes » de la peinture sont souvent résolus non pas au moment où l’on cherche à les résoudre, mais plutôt quand on les a mis de côté et que, en oubliant s’être posé une question, on l’aborde soudainement par une autre voie, surmontant l’obstacle (ou plutôt, l’appréciant d’un autre point de vue) et résolvant ces « problèmes ». Ceci nous est démontré, du reste, dans les lectures de Daniel Arasse qui découvre dans des œuvres des détails, et ne voit plus qu’eux, et qu’il finit par expliquer en prenant le détail à revers, à s’imprégner de l’œuvre même, et d’œuvres contemporaines, pour constituer une champ réflexif qui, en s’appuyant sur un champ de connaissances anciennes et nouvelles, et sans exactement sortir de l’iconographie traditionnelle, du moins en utilise différemment les outils.

 

S’il y a dialectique et qu’elle s’appuie sur une nouvelle méthode, il faut donner à cette méthode le langage qui lui correspond. Pas le langage communément utilisé par une partie des historiens actuels, qui « récoltent », dans des disciplines variées, des mots qu’ils font entrer de force dans leur lexique – sans toujours trop les expliquer, d’ailleurs – mais plutôt un langage qui entrevoit l’art comme un mode d’expression propre. Si on lit Souriau qui explique que le peintre « projette » ce qu’il voit en lui, à son insu, on serait tenté de revenir à un discours teinté du psychologisme plat par trop employé dans la traditionnelle méthode d’analyse de l’histoire de l’art. Néanmoins dans ce sens la peinture n’est pas à comprendre au sens du paradigme platonicien, mais à celui d’interprétation sémantique.

Le problème qu’on eut les historiens de l’art avec la sémantique c’est qu’ils ont voulu en faire un filtre d’analyse du réel, sans s’apercevoir qu’elle ne le dénote pas, mais qu’elle le connote. On pourrait toutefois concevoir, sur ce fondement, un renouveau du langage. La tâche est dantesque, d’abord parce qu’elle devrait, pour ne pas faire un « schisme » dans l’histoire de l’art, avoir l’assentiment des pontes de la discipline, ensuite parce qu’il faudrait lui faudrait tout un vocabulaire, mixtion de ceux de l’analyse littéraire et de la perception physique.

 

 

III. Nous conclurons par une hypothèse affirmative : l’histoire de l’art est – devrait être – une ontologie (une ontologie « régionale », pour reprendre le terme de Husserl ; c'est-à-dire une ontologie propre à la discipline à laquelle elle s’attache). C’est ce que nous évoquions brièvement en rappelant que Daniel Arasse « s’imprègne » d’œuvres pour les expliquer, ou ce que nous sous-entendions en parlant de « perception physique » un peu plus haut ; en effet, quand nous suggérons l’ontologie, nous avons déjà songé à appliquer au champ « art » l’approche de la phénoménologie. La phénoménologie estime que chacune de nos expériences a une forme spécifique qui lui est prescrite par la chose à laquelle elle a affaire ; c’est donc l’analyse de la structure de chacune de ces expériences qui formule des suggestions qui permettent de répondre aux interrogations sur cette chose.

En l’occurrence, ce n’est pas Husserl qui nous intéresse, et encore moins Sartre, mais Merleau-Ponty. Pas le Merleau-Ponty de la Phénoménologie de la Perception dans laquelle l’immanence du cogito s’avère finalement inefficace, mais le « dernier » M.P., celui de L’œil et l’Esprit et Le Visible et l’Invisible. A travers l’emprise d’une œuvre d’Art par les moyens de la phénoménologie (dont le cadre, bien sûr, déborde largement notre sujet), on peut déterminer une immanence de l’œuvre d’art, une « œuvre d’art-en-soi », dont le sens est propre à celui qui applique sur elle sa propre perception.  L’histoire de l’art étant, par nature, destinée à être communiquée, c’est sur cette perception que se fonde(rait) non plus une analyse, mais une critique, à laquelle chacun est libre ou non d’adhérer.

 

 

En définitive, nous estimons que, si l’ont doit enseigner l’histoire de l’art, c’est en réfléchissant à de nouvelles méthodes d’enseignement. Il faut revenir aux œuvres, ne parler que des œuvres et cesser de commenter, ou analyser, des discours sur ses œuvres, qu’on finit, avec la méthode traditionnelle, par oublier.

 

Et là, pouêt.

 

W***

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