Doit-on enseigner l’histoire de l’art ?
Ce fut mon sujet de partiel en histoire de l’art moderne.
Enjoy.
Il n’y a manifestement que deux réponses possibles :
oui ou non. Nous aborderons pour notre part la question de biais, en nous
demandant comment ou comment ne pas l’enseigner, c'est-à-dire, pourquoi on ne
doit pas enseigner l’histoire de l’art d’une façon et pourquoi on devrait
l’enseigner d’une autre.
De cette méthode nous aborderons trois points : nous
verrons dans un premier temps que l’histoire de l’art est un particularisme de
la « discipline histoire », et qu’à ce point abâtardie, elle
n’apprend pas l’art ou son analyse, mais elle fausse ou contrefait son approche
initiale ; nous aborderons ensuite l’idée que la discipline est une
dialectique, dont les termes sont encore mal posés – malgré des incursions d’audacieux
dans d’autres directions. Nous proposerons enfin, sous la forme d’une
hypothèse, l’histoire de l’art comme une ontologie, et arguerons pour un retour
à l’œuvre elle-même avant de discourir sur ce qui a déjà été écrit sur l’œuvre.
I. L’histoire de l’Art est une
histoire. Son champ d’application est subordonné à une condition
d’existence : l’œuvre d’art doit avoir
été. Elle existe toujours, mais sa création est une manifestation du
passé ; l’action « faire l’art » (peindre, sculpter, écrire,
composer) équivaut pour une étoile, en termes physiques, à
« rayonner » : l’action est terminée depuis longtemps, mais ses
effets sont encore perceptibles (certaines étoiles sont mortes depuis des
centaines d’années mais la distance qui les sépare de notre perception est
tellement grande que leur rayonnement, dont l’émission a cessé, nous parvient
encore en tant que récepteurs).
L’histoire de l’Art est donc une dissection du champ
historique avec des outils d’analyse du présent : la méthode consiste à
déterminer ce qui, dans la création, est constitutif d’une répercussion du
factuel, d’une emprise du réel dans l’oeuvre. C’est l’analyse du contexte qui
permet, jusqu’à un certain point, d’interpréter des éléments artistiques dont
la compréhension dépasse la seule perception. En tant qu’histoire, l’histoire
de l’Art cherche à répondre à la question « Pourquoi ? » (et
l’on pourrait commencer de répondre en se remémorant Panofsky, qui eut dit ici :
parce que le Stilmoment ne dispense
jamais du Wermoment).
Dans la caractérisation
historique, la discipline détermine, sur la base d’une autobiographie (ou si
elle n’existe pas, d’après un collationnement de sources biographiques), les
éléments qui ont influencé l’auteur au moment de créer une œuvre d’art, en tout
ou en partie (l’emploi du conditionnel serait de rigueur, mais il est assez peu
employé en l’espèce).
Au-delà donc de la seule histoire, la discipline crée une
« histoire dans l’Histoire », voire, plusieurs histoires dans
l’Histoire, chacune étant propre à un auteur (artiste) ; qu’importe en
définitive que plusieurs aient vécu au même moment ou qu’ils fussent intimement
liés : l’historien de l’art détermine une monographie pour chacun ;
Vuillard, Denis, Bonnard : proches amis, styles proches, famille de cœur pour
ainsi dire – ça ne change rien. Il y aura trois catalogues, et de surcroît "raisonnés", et c’est peut-être là le
problème de l’histoire de l’art : elle raisonne, mais elle raisonne soit à
rebours, soit sur son propre raisonnement. Elle a oublié l’œuvre.
II. Dans un second point, nous
formulerons une hypothèse : l’histoire de l’art est une dialectique. A cet
égard, non sans oublier que Kant déclarait « la philosophie, ça s’apprend
comme le reste », Otto Pächt a affirmé pour sa part qu’on ne peut pas voir sans savoir. Pour employer une dialectique, il faut renouveler la
méthode de travail, et si l’on veut se poser des questions, les poser
autrement.
Panofsky a démontré que les
« problèmes » de la peinture sont souvent résolus non pas au moment
où l’on cherche à les résoudre, mais plutôt quand on les a mis de côté et que,
en oubliant s’être posé une question, on l’aborde soudainement par une autre
voie, surmontant l’obstacle (ou plutôt, l’appréciant d’un autre point de vue)
et résolvant ces « problèmes ». Ceci nous est démontré, du reste,
dans les lectures de Daniel Arasse qui découvre dans des œuvres des détails, et
ne voit plus qu’eux, et qu’il finit par expliquer en prenant le détail à
revers, à s’imprégner de l’œuvre même, et d’œuvres contemporaines, pour
constituer une champ réflexif qui, en s’appuyant sur un champ de connaissances
anciennes et nouvelles, et sans exactement sortir de l’iconographie
traditionnelle, du moins en utilise différemment les outils.
S’il y a dialectique et qu’elle
s’appuie sur une nouvelle méthode, il faut donner à cette méthode le langage
qui lui correspond. Pas le langage communément utilisé par une partie des
historiens actuels, qui « récoltent », dans des disciplines variées,
des mots qu’ils font entrer de force dans leur lexique – sans toujours trop les
expliquer, d’ailleurs – mais plutôt un langage qui entrevoit l’art comme un
mode d’expression propre. Si on lit Souriau qui explique que le peintre
« projette » ce qu’il voit en lui, à son insu, on serait tenté de
revenir à un discours teinté du psychologisme plat par trop employé dans la
traditionnelle méthode d’analyse de l’histoire de l’art. Néanmoins dans ce sens
la peinture n’est pas à comprendre au sens du paradigme platonicien, mais à
celui d’interprétation sémantique.
Le problème qu’on eut les historiens de l’art avec la
sémantique c’est qu’ils ont voulu en faire un filtre d’analyse du réel, sans
s’apercevoir qu’elle ne le dénote pas, mais qu’elle le connote. On pourrait
toutefois concevoir, sur ce fondement, un renouveau du langage. La tâche est
dantesque, d’abord parce qu’elle devrait, pour ne pas faire un
« schisme » dans l’histoire de l’art, avoir l’assentiment des pontes
de la discipline, ensuite parce qu’il faudrait lui faudrait tout un
vocabulaire, mixtion de ceux de l’analyse littéraire et de la perception
physique.
III. Nous conclurons par une
hypothèse affirmative : l’histoire de l’art est – devrait être – une
ontologie (une ontologie « régionale », pour reprendre le terme
de Husserl ; c'est-à-dire une ontologie propre à la discipline à laquelle
elle s’attache). C’est ce que nous évoquions brièvement en rappelant que Daniel
Arasse « s’imprègne » d’œuvres pour les expliquer, ou ce que nous
sous-entendions en parlant de « perception physique » un peu
plus haut ; en effet, quand nous suggérons l’ontologie, nous avons déjà
songé à appliquer au champ « art » l’approche de la phénoménologie. La
phénoménologie estime que chacune de nos expériences a une forme spécifique qui
lui est prescrite par la chose à laquelle elle a affaire ; c’est donc
l’analyse de la structure de chacune de ces expériences qui formule des
suggestions qui permettent de répondre aux interrogations sur cette chose.
En l’occurrence, ce n’est pas
Husserl qui nous intéresse, et encore moins Sartre, mais Merleau-Ponty. Pas le
Merleau-Ponty de la Phénoménologie de la
Perception dans laquelle l’immanence du cogito s’avère finalement
inefficace, mais le « dernier » M.P., celui de L’œil et l’Esprit et Le Visible et l’Invisible. A travers
l’emprise d’une œuvre d’Art par les moyens de la phénoménologie (dont le cadre,
bien sûr, déborde largement notre sujet), on peut déterminer une immanence de
l’œuvre d’art, une « œuvre d’art-en-soi », dont le sens est propre à
celui qui applique sur elle sa propre perception. L’histoire de l’art étant, par nature,
destinée à être communiquée, c’est sur cette perception que se fonde(rait) non
plus une analyse, mais une critique, à laquelle chacun est libre ou non
d’adhérer.
En définitive, nous estimons que, si l’ont doit enseigner
l’histoire de l’art, c’est en réfléchissant à de nouvelles méthodes
d’enseignement. Il faut revenir aux œuvres, ne parler que des œuvres et cesser
de commenter, ou analyser, des discours sur ses œuvres, qu’on finit, avec la
méthode traditionnelle, par oublier.
Et là, pouêt.
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