Saturday, December 09, 2006

COPERNIC 1 – Le Verbe (1)

Je lance aujourd'hui ma première COPERNIC (Considération d'Ordre Personnel Et Relative, Notable ou Inintéressante, voire Contestable), comme le satellite du même nom. Enfin je la lance pas en l'air, parce qu'on sait jamais comment ça retombe, ce genre de truc.

Alros, pardon, alors oui, le Verbe, me direz-vous, avec un grand V comme Vaginas (je trouve ce mot très plaisant en Anglais, il faut bien le prononcer et ne pas hésiter à en faire des tonnes : « Vadjaïnas ! » – On dirait un cri de guerre de cuisinier afghan). Ma première COPERNIC concerne donc le langage, qui est, avec le temps et la perception, un de mes sujets de prédilection.

Je vous resitue l'action.

Lors d'un récent mondain (le mondain du jeudi soir – si vous suppliez, je vous enverrai peut-être un bristol), j'ai fait une constatation. Une bête constatation ; on le sait, mais comme dirait mon estimé professeur d'acteurs du patrimoine historique et culturel, « ça va mieux en le disant ». Nous étions comme toujours cinq pour le dîner : moi, J~ (ça, ça change pas trop), Dooty et deux invités à elle, que nous ne citerons pas, par discrétion.

Nous évoquions, autour d'un Chardonnay un peu vert, la difficulté de parfois se faire comprendre avec des arguments valables sur un sujet cependant sensible. L'exemple importe peu, nous en avons tous en tête – il y a des arguments valables pour l'IVG, difficilement présentables devant une femme qui vient de faire une fausse couche ; il y a des arguments pour ou contre le CPE (cf. cet article), mais leur énonciation dépend des auditeurs : si l'on est à la table de trotskistes, le choix sera différent que si l'on est à un congrès du MEDEF.

J~ se demandait si la conversation était plus évident entre juristes, si l'on part du principe qu'ils acquièrent, en peu de temps, un savoir théorique dont les applications pratiques, du moins leurs connections avec le réel, sont immédiatement perceptibles – un genre d'emprise sur le monde, mais, dans le statut étudiant, purement contemplatif.

La réponse à la question qui se trouve plus haut, et qui était, je vous le rappelle parce qu'avec des phrases aussi longues, on s'y perd, « la conversation est-elle plus évidente entre juristes ? » ; la réponse à cette question disais-je, est fort dommageablement non, du moins, presque non. Le constat porte sur ses développements. La connaissance apporte certes l'approfondissement, mais son interruption – qui peut intervenir, chez l'étudiant en droit, à bac + 1 mois, bac + 1 semestre, bac + an ou bac + beaucoup d'années ; bref, à n'importe quel moment – glace, ou plutôt cristallise (croyez bien que je déteste les mots à la mode mais son usage me paraît ici justifié) le savoir dans son dernier état – embryonnaire, anecdotique, avancé, encyclopédique.

Sans recul, le savoir est inutilisable.

Sans savoir, la conversation est limitée.

…et sans conversation, le mondain du jeudi n'est pas très amusant.

Un argument, cependant, ne tient pas seulement à sa valeur objective (départie de ce qui en gêne la perception : morale, idée reçue, conflit initial entre locuteurs) mais au procédé qui permet son énonciation.

Je pense notamment à l'éloquence.

L'éloquence permet de présenter un argument, de le tourner, de l'embellir (je pose toujours l'hypothèse d'un argument valable objectivement). Le temps permet, du début de l'énonciation d'un argument à sa conclusion, d'engager un processus de réflexion chez l'auditeur ; ce processus débouche soit sur un accord (et dans ce cas-là, la conversation se termine rapidement) soit sur un désaccord – et dans cet autre cas, la conversation prend la tournure sinon d'une confrontation, du moins d'un débat.

Un savoir incomplet, interrompu ou non actualisé, génère le conflit, car la réflexion est butée à ses limites. Un savoir plus conséquent permet de prendre l'avantage du raisonnement sur l'« énonceur », à moins que ce dernier ne dispose d'autres arguments ; dans ce cas-là la conversation, ainsi émulée, peut devenir fort constructive.

Un juriste valable – j'entends par valable un juriste qui se tient à une conversation dès l'apéritif et ne s'essouffle pas avant le fromage – est un juriste qui est sorti de ses livres, qui a un œil sur l'actualité, qu'il peut recadrer dans l'Histoire – l'actualité déchargée des passions politiques.

Mieux encore, le juriste peut parler d'expérience. Probablement pas en matière de droit, pas tant qu'il n'est qu'un jeune étudiant, mais sur le plan émotionnel et humain ; qu'il parle par connaissance propre ou rapportée. L'empirisme est salutaire car permet de briser les cas d'école et ainsi donne du champ à la théorie, qu'elle soit confortée (application du principe) ou battue en brèche (transformation du principe [dans une autre mesure : jurisprudence]).

Et finalement, non, la conversation n'est pas plus évidente entre étudiants juristes qu'entre autres. Même s'ils sont, la plupart du temps, d'accord sur le droit, ils préfèrent le remettre en cause pour la politisation ou la récupération doctrinaire – les faits sont pour ainsi dire moins discutables en tant qu'ils n'entrent que dans le champ de l'hypothèse de création de droit (ou de son revirement).

La pratique du droit est la promotion de sa théorie, mais pour beaucoup d'entre nous, il me semble que le rapport est fortuit ; comme si la concordance de l'idéation et de sa création n'étant qu'une coïncidence inopinée.

A suivre, et débattre. Siouplaît.

J*