Thursday, April 20, 2006

“Birds flying high, you know how I feel…”

Le fait d’être de bonne humeur permet de réfléchir autrement – jusque là, ce n’est pas une découverte – ainsi qu’il nous permet, d’après moi, de donner un autre sens à ce que nous jugeons, dans notre état de conscience habituel (c’est-à-dire qui n’est pas précisément tourné vers la félicité ou la mélancolie mais simplement, peut-être, influencé par un optimisme/pessimisme propre à chacun), entendons, son état habituel d’ « être ».

Sur le fait de manger un steak, par exemple, l’habitude jugera de sa tendreté, la félicité (la « bonne humeur » évoquée supra) jugera de son goût et provoquera une connaissance, un questionnement ouvert sur ledit steak – sa provenance, son conditionnement, sa préparation – et la mélancolie (substitut synonymique impropre mais poétique de la « mauvaise humeur ») s’attachera à critiquer la cuisson : la cuisson a ceci de n’être jamais correcte, du moins dans le temps (ou de l’être, donc, de façon très brève). La viande refroidit à la même vitesse, qu’on soit de bonne ou mauvaise humeur, qu’on aime sa viande très cuite ou bleue (et dans ce cas-là, elle sera froide plus vite, puisque sa cuisson aura été plus courte) ; mais le mélancolique, dans son soin de projeter sur chaque sujet ou objet son état de conscience, ne remarquera que la cuisson – s’il n’a pas de raisons de critiquer les autres attributs du steak, dans la mesure bien sûr où il resterait, tout au long de sa considération, de bonne foi.

Notre existence n’est, pour ainsi dire, qu’un gros steak.

Les mélancoliques trouveront toujours la faille dans laquelle se faufiler pour l’agrandir davantage, en faire la déclaration béante dans le temps, la plaie incurable de leurs âmes, le chuchotement continu dans le silence de leurs esprits. A l’inverse ceux qui baignent dans la félicité ne verront pas cette faille, où s’ils la voient, lui accorderont peu d’importance – mais la masquer, où ma camoufler, serait risquer de glisser dans l’attitude non négligeable, mais tellement artificielle, de positivisme forcée.

Euh...

...Dites donc, c’est que je ne me rappelle plus où je voulais en venir, moi !...

W***

Monday, April 03, 2006

Suite et fin de la CR XXIII : CPE, etc.

Poursuivons donc avec un peu de CPE. Je ne résiste pas au plaisir de vous livrer quelques considérants de la décision n° 2006-535 DC rendue jeudi par le Conseil constitutionnel – et seulement quelques-uns, puisqu’elle fait dix pages :

« Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la procédure suivie pour l’adoption de la loi déférée, et notamment de son article 8, n’a pas été irrégulière ; […] le législateur a défini de manière suffisamment précise le régime juridique des deux premières années du « contrat première embauche » et n’a pas méconnu l’étendue de sa compétence ; […]

Considérant, en deuxième lieu, que l’éventuelle incompatibilité de l’article 8 avec les engagements internationaux et les obligations communautaires de la France n’est pas, en tout état de cause, de nature à entacher la clarté ou l’intelligibilité de la loi ;

Considérant, en troisième lieu, qu’en cas de licenciement pour motif disciplinaire, l’employeur a l’obligation de mettre en oeuvre la procédure prévue par les articles L. 122-40 à L. 122-44 du code du travail ; qu’il ne pourrait s’y soustraire que par une violation de la loi qu’il appartiendrait au juge de sanctionner ; que l’éventualité d’un détournement de la loi lors de son application n’entache pas celle-ci d’inconstitutionnalité ;

[…]

Considérant qu’aucun principe non plus qu’aucune règle de valeur constitutionnelle n’interdit au législateur de prendre des mesures propres à venir en aide à des catégories de personnes défavorisées ; que le législateur pouvait donc, compte tenu de la précarité de la situation des jeunes sur le marché du travail, et notamment des jeunes les moins qualifiés, créer un nouveau contrat de travail ayant pour objet de faciliter leur insertion professionnelle ; que les différences de traitement qui en résultent sont en rapport direct avec la finalité d’intérêt général poursuivie par le législateur et ne sont, dès lors, pas contraires à la Constitution ;

[…]

Considérant, d’autre part, que la faculté donnée à l’employeur de ne pas expliciter les motifs de la rupture du « contrat première embauche », au cours des deux premières années de celui-ci, ne méconnaît pas l’exigence résultant du cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ;

[…]

Considérant, en premier lieu, qu’il ne résulte ni du principe de la liberté contractuelle qui découle de l’article 4 de la Déclaration de 1789 ni d’ailleurs d’aucun autre principe ou règle de valeur constitutionnelle que la faculté pour l’employeur de mettre fin au « contrat première embauche » devrait être subordonnée à l’obligation d’en énoncer préalablement les motifs ;

[…]

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’article 51 de la loi déférée n’est pas contraire à la Constitution ;

Considérant qu’il n’y a lieu, pour le Conseil constitutionnel, de soulever d’office aucune autre question de conformité à la Constitution,

D É C I D E :

Article premier.- Les articles 21 et 22 de la loi pour l’égalité des chances sont déclarés contraires à la Constitution.

Article 2.- Les articles 8, 48, 49 et 51 de la même loi sont déclarés conformes à la Constitution. […] »

Ah ! C’est beau à pleurer.

Encore une fois, dans une situation de crise, le Conseil évite les compromis et s’en tient parfaitement à son rôle dans une décision qui appellera, probablement, à jurisprudence en droit du travail dans les mois à venir.

J’adore les romans à épisodes ; il ne nous manquait plus que la décision finale du Premier mangeur de tête de veau.

Ainsi a retenti un petit cri de contentement samedi après-midi. En ouvrant Il Messaggero, page 3, j’ai eu le plaisir de lire : « Chirac firma il Cpe ma promette modifiche. » (Je vous le laisse en V.O. tellement c’est transparent.) Vous connaissez la suite. J’ajoute cependant quelques propos de M. Jean-Marie Chevalier, professeur de sciences économiques à Dauphine, qui répond ainsi aux questions de Francesca Pierantozzi : « [le CPE] est probablement une très bonne chose pour plusieurs types de sociétés ou industries qui vivent des situations de grandes variabilités, et pour lesquelles la flexibilité est vitale. […] Il faut par-dessus tout préciser que les parents [des manifestants] sont restés habitués à un marché du travail avec de nombreuses garanties, mais qui aujourd’hui n’existe plus. […] »

Je me permets par ailleurs de rapporter quelques informations énoncés par The Economist, qui cette semaine titrait "France faces the future" en couverture (avec en illustration un coq tricolore qui avance les yeux bandés) : « En mars, la Bourse de Paris grimpait à son plus haut niveau depuis 2001. Les derniers résultats financiers montrent des profits records pour les quarante premières compagnies du pays, 50% plus élevés qu’en 2004. L’année dernière, les entreprises françaises étaient la troisième plus importante source mondiale de rachats d’entreprises hors frontières. Des banques aux télécoms, en passant par les cosmétiques et les fabricants de vitres (??), la « corporation France » (sic) est dans un flux d’expansion, faisant joyeusement de grands pas dans de nouveaux marchés, piétinant les concurrents et profitant de l’économie mondialiste. » (p. 23) (Désolé pour la traduction un peu trop près du texte.)

Voilà, ça, c’est dit…

Il serait de bon ton que je précise, peut-être, que je ne soutiens pas à proprement parler la droite, ou l’actuel gouvernement – d’ailleurs il y a déjà des prémisses de sécession en leurs seins même – mais plutôt l’action gouvernementale propre. Ce n’est pas parce que le Premier ministre a pris un mauvais départ qu’il faut le lui reprocher trois mois durant. Le Conseil constitutionnel ayant avalisé le plus gros du texte, le Président de la République ne pouvait à mon avis pas passer outre. Il en ressortait affaibli quoi qu’il advienne, car la gauche – ou l’opposition, quelle qu’elle soit – a beau jeu de critiquer tout ce qui peut l’être dans ce cas-là. Le Président eut-il retiré le texte, M. Hollande aurait crié au déballonnage ; et voilà que puisque le cas inverse présente, il évoque un entêtement certain et dans peu de temps, il ne sera pas loin de parler de sénilité.

Mais, pendant ce temps, que fait Tarte-au-flan (c’est le surnom que j’ai donné à François Hollande, TaF, ça lui va bien ; le sigle fait aussi « tire-au-flanc », d’ailleurs) ?... Tarte-au-flan propose-t-il autre chose que le retrait du texte, ou que la discussion avec les partenaires sociaux (qui est, au passage, la position de Nicolas Sarkozy) ? Non. TaF, nous dit Il Messaggero, coordonne une réponse de la gauche unie ; avec peut-être à la clef une proposition de loi sur les trente-six heures et demie ?...

Mon appartenance politique varie en fonction des sujets. Je fus souvent à droite ; je suis maintenant plus à gauche mais tout de même avec de nombreuses nuances, ce qui fait de moi un centriste indécis. Il m’apparaît certain, cependant, que je ne voterai pas pour une pâtisserie qui bloblote en 2007, si elle ne se décide pas à « rassembler » la gauche pour de bon, avec un programme qui a du sens et qui ne vise pas à défaire ce que la droite a mal fait ou tenté de bien faire.

Car certes, M. de Villepin a commis des erreurs. En terme de communication avec les Français d’abord, mais aussi avec les Conseils auxquels il a présenté un texte ayant fait l’objet de modifications d’une lecture à l’autre. Cela, on ne peut pas le nier. Pour ce qui est, en revanche, de son attitude, si elle paraît encore un tantinet obstinée, je la trouve pour ma part très forte en terme de « gouvernance », de cohésion avec le Parlement – encore que, en effet, c’est un projet de loi (ainsi le passage devant l’Assemblée nationale passe pour une promenade de santé puisque la majorité est de la même mouvance que le Président). Ce Premier ministre n’est quant à lui pas un élu, il n’a donc rien à perdre, il est totalement indépendant, même si cette indépendance constitue par ailleurs, et paradoxalement, une certaine faiblesse. Dans l’absolu, cette position est une force car il ne donne pas dans le clientélisme. Il ne poursuit pas (pour le moment) un objectif personnel – même si le projet de loi lui tint suffisamment à cœur pour qu’il menace, paraît-il, son Président de démission en cas de non-promulgation de la loi par ce dernier – mais bien un projet typiquement gouvernemental.

Il y a, dans cette opiniâtreté, une véritable pensée républicaine, dans la mesure où il se propose de légiférer, en l’espèce :

- pour le peuple – qu’y a-t-il de plus (im)populaire que le chômage qui s’abat sur lui ? – au demeurant, ainsi que le rappel le Conseil constitutionnel, « Considérant qu’il incombe au législateur, compétent en vertu de l’article 34 de la Constitution pour déterminer les principes fondamentaux du droit du travail, de poser des règles propres à assurer, conformément au cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, le droit pour chacun d’obtenir un emploi tout en permettant l’exercice de ce droit par le plus grand nombre et, le cas échéant, en s’efforçant de remédier à la précarité de l’emploi » ;

- mais également par le peuple, puisque le peuple a élu des députés qui le représente à l’Assemblée. (J’imagine que ces propos font grincer des dents, mais le régime représentatif a des avantages sérieux qui amoindrissent ses inconvénients ; mais bref, ce n’est pas le sujet de mon propos.)

En tout état de cause, je présume que le Premier ministre n’a pas fait qu’exprimer une volonté en proposant une réforme sur le sujet. Il y a sûrement un bataillon d’experts qui s’est penché sur le projet, qui a regardé outre-Rhin les premiers résultats de son équivalent allemand – en vigueur depuis plusieurs mois maintenant – tout en exprimant, j’imagine, une vive consternation pour la législation du travail transalpine. Les Italiens sont nuancés sur le CPE mais sont globalement pour, dans la mesure où, comme je l’expliquai précédemment, le contrat de travail italien tient plus du bricolage que de la situation juridique claire et précise.

Et maintenant, posons les pancartes et attendons.

W***